Le combat contre le terrorisme d'Al-Qaïda

Quand les Forces Spéciales traquent les Djihadistes en Afrique, en Asie, au Proche-Orient et en Europe

Tal Afar, la « capitale » cachée de l’Etat islamique

4663153_6_3c90_l-etat-islamique-en-syrie-et-en-irak_4ffa6776d9dd73567fa845977ae88d4bC’est une grosse bourgade perdue aux portes du désert irakien, dans les plaines qui s’étendent entre Tigre et Euphrate, de part et d’autre de la frontière fantôme qui séparait la Syrie de l’Irak avant que, des décombres de ces deux Etats faillis, n’émerge l’Etat islamique (EI). Conquise par les djihadistes le 16 juin 2014 dans la foulée de Mossoul, Tal Afar, méconnue, est restée dans l’ombre de la métropole irakienne où était proclamé, il y a un an, le « califat » d’Abou Bakr Al-Baghdadi. C’est pourtant de cette localité mineure mais singulière – une enclave turkmène dans une région majoritairement arabe – que sont issus certains des hommes les plus influents de l’EI.

Si l’organigramme des échelons les plus élevés du « califat » reste largement mystérieux, certains éléments distillés par Washington illustrent le rôle joué par d’anciens hauts gradés originaires de Tal Afar au sein de la haute hiérarchie de l’EI. Donné pour mort fin 2014, Fadel Ahmed Abdullah Al-Hiyali, ancien officier du renseignement militaire irakien puis des forces spéciales de la garde républicaine de Saddam Hussein, connu depuis son entrée dans l’insurrection sunnite sous le nom d’Abou Muslim Al-Turkmeni, est l’un d’entre eux.

Chargé de superviser la gouvernance des territoires irakiens de l’Etat islamique, il aurait partagé avec un autre Tal-Afari, connu sous le pseudonyme d’Abou Ali Al-Anbari, ancien major-général de l’armée irakienne chargé du domaine syrien, la position de numéro deux de l’EI. A ces deux hommes s’ajoute une troisième figure, Abou Ala Al-Afri, un vétéran du djihadisme international également turkmène de Tal Afar qui aurait pris en main la direction de l’EI après qu’Abou Bakr Al-Baghdadi eut été grièvement blessé en mars, selon une information du Guardian. Derrière ces trois individus se profile une multitude d’officiers et de combattants originaires de la ville et déployés sur tous les fronts où l’EI est présent.

« C’est à Tal Afar que Daech a préparé beaucoup d’attentats-suicides », révèle Hicham Al-Hachimi, un analyste irakien spécialiste de l’EI

« Les Tal-Afaris sont arrivés à des positions de commandement par des voies distinctes, mais nombre d’entre eux ont rejoint le premier cercle du pouvoir au sein de Daech [acronyme arabe de l’EI] », indique Hicham Al-Hachimi, un analyste irakien spécialiste de l’EI. « Ils se sont fait remarquer par leur attachement total à Al-Baghdadi et leur fidélité sans faille à leur chef. »

Système mafieux et terroriste

Une loyauté qui n’est pas sans rappeler celle vouée à Saddam Hussein avant l’invasion américaine de 2003. « La population sunnite de Tal Afar était réputée avoir été une source importante de recrutement des hauts gradés de l’armée de Saddam Hussein », rappelle un ancien général originaire de la ville aujourd’hui réfugié à Bagdad. Après 1991 et la défaite irakienne au Koweït, le régime baasiste amorce une évolution idéologique vers l’islamisme dont les conséquences se font encore sentir. La formule « Allah akbar » fait ainsi son apparition sur le drapeau national puis des châtiments corporels, inspirés de la charia, entrent en vigueur, comme l’amputation de la main pour les voleurs.

« La “Campagne de la foi” a eu un impact particulier à Tal Afar, les salafistes ont joué un rôle plus fort à cette période et bénéficiaient d’une base solide dans la population », se souvient un notable de Tal Afar aujourd’hui exilé à Erbil, au Kurdistan irakien. « Dès cette époque, Abou Ala Al-Afri était déjà un religieux très connu », rappelle un habitant chiite. Comme l’explique aussi un fonctionnaire originaire de la ville, « le terreau à Tal Afar était favorable au développement d’une insurrection islamiste au moment de la chute du régime de Saddam Hussein ». Le démantèlement de l’armée irakienne, en 2003, par les autorités américaines d’occupation parachèvera cette évolution, à Tal Afar comme dans tout l’Irak sunnite.

« Des dizaines de milliers de militaires se sont retrouvés sans rien à faire et sans salaire, mais tout le monde avait conservé ses armes. A Tal Afar, où l’armée avait une place particulière, un noyau d’anciens officiers s’est organisé pour résister à l’occupant. Al-Qaida en Irak [prédécesseur de l’EI] s’est rapidement greffé sur leur groupe et les a formés au terrorisme, détaille l’ancien général de Tal Afar. Ce sont ces mêmes personnes qui ont pris de l’importance au sein de Daech et que l’on retrouve aujourd’hui. » Selon lui, le conflit a vite pris une tournure confessionnelle : « Au début, ils se battaient contre les Américains, mais la nouvelle armée irakienne étant dirigée par des chiites, les sunnites se sont attaqués aux chiites de Tal Afar, qui avaient l’appui du gouvernement central. » Comme le rappelle un ancien habitant chiite, « les communautés se sont divisées sous l’occupation ». « Pas une semaine ne se passait sans des arrestations dans les quartiers sunnites et des explosions dans les quartiers chiites. »

Fuyant la violence et le déploiement accru de forces américaines et irakiennes, une partie de la population sunnite de Tal Afar a émigré à Mossoul. « La ville est bien plus vaste que Tal Afar, les insurgés pouvaient se fondre dans la masse et échapper à l’armée », précise le général. D’après un haut responsable kurde alors en poste à Mossoul, les Tal-Afaris ont joué un rôle majeur dans la constitution du système mafieux et terroriste fondé sur le racket généralisé, les attentats et les assassinats, qui a progressivement pris le contrôle de la ville bien avant l’assaut général de l’EI en juin 2014.

« Tous les chiites sont partis »

Al-Qaida en Irak avait en effet tout intérêt à miser sur Tal Afar. Proche de la frontière syrienne, la ville allait se transformer en étape obligée sur la route de l’Irak pour les combattants étrangers accueillis par le groupe djihadiste, et ce avec la complicité tacite de Damas. « Les services secrets syriens étaient très présents à Tal Afar pendant l’occupation. Ils permettaient à des recrues d’Al-Qaida de s’entraîner de leur côté de la frontière et favorisaient l’arrivée vers Tal Afar de combattants et d’armes depuis la Syrie », précise l’ancien fonctionnaire.

Selon l’ancien notable, qui est toujours en contact avec des proches restés sur place, la ville a conservé sa fonction d’accueil des combattants étrangers : « Ils sont très présents. Toutes les nationalités sont représentées. Comme tous les chiites de Tal Afar sont partis, on y trouve de nombreuses maisons disponibles. » D’après Hicham Al-Hachimi, Tal Afar est un centre logistique ainsi qu’une base de repli potentielle : « C’est à Tal Afar que Daech a préparé beaucoup d’attentats-suicides et dispose de nombreux camps d’entraînement, notamment pour les étrangers. Les habitants soutiennent Daech depuis longtemps, si l’organisation est menacée, elle pourra s’y retrancher. »

Source : Le Monde

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Cette entrée a été publiée le novembre 26, 2015 par dans EI, Irak, Syrie.